Cour des comptes / CNC : appel à une « réforme approfondie » des aides cinéma, trop nombreuses et complexes

le rapport de la Cour des Comptes sur le CNC et l’article de Satellifacts paru ce jour.
HL

Cour des comptes / CNC : appel à une « réforme approfondie » des aides cinéma, trop nombreuses et complexes
Paris - Publié le mercredi 20 septembre 2023

La Cour des comptes a estimé que le CNC aide trop de films, qui ne peuvent pas trouver leur public en salles, dans un rapport dévoilé mercredi 20 septembre. La plus haute juridiction financière, qui se penche sur plus d’une décennie (2011-2022) de gestion du Centre, appelle à « une réforme approfondie des aides » en particulier au cinéma, trop nombreuses et trop complexes à son goût. Rappelons que c’était l’objectif initial de la « revue générale des aides » engagée en 2020 dont la juridiction dénonce « l’enlisement ». Elle formule au global dix recommandations, dont certaines couvrent l’ensemble de l’activité du Centre (cinéma, audiovisuel, jeux vidéo).

Le diagnostic de la Cour des comptes se veut toutefois nuancé. Il rappelle que le CNC reste garant « du modèle français, dit d’exception culturelle, combinant production indépendante et créativité ». C’est ce modèle « qui a permis le maintien d’une part de marché des films français de près de 40 %, le développement d’un secteur puissant de l’animation et de séries audiovisuelles désormais dominantes sur le marché français (contrairement à ce qui était le cas il y a une quinzaine d’années) », prend-il soin de rappeler.

Des films français de plus en plus nombreux à ne pas trouver leur public en salles

Mais les magistrats financiers pointent le fait que les aides au cinéma continuent de gonfler, pour des films français de plus en plus variés, mais qui sont aussi de plus en plus nombreux à ne pas trouver leur public en salle. Un tiers des films français réunissaient moins de 20 000 spectateurs en salles en 2019, contre un quart une décennie plus tôt, note la Cour. « Nous ne sommes pas en train de préconiser qu’il y ait moins de films, mais de faire en sorte qu’il y ait moins de films qui ne rencontrent pas leur public », a martelé le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, devant la presse.

Le rapport se penche notamment sur l’aide la plus connue, l’avance sur recettes (ASR) et souligne que certains auteurs sont fréquemment soutenus, comme la documentariste Claire Simon, financée à sept reprises en dix ans, Arnaud Desplechin (cinq fois) ; neuf réalisateurs ont été aidés à quatre reprises pendant la période : Alain Cavalier, Quentin Dupieux, Benoît Jacquot, Cédric Kahn, Sophie Letourneur, Guillaume Nicloux, Antonin Peretjatko, Justine Triet et Rebecca Zlotowski. A ceux qui brandissent le succès des auteurs français dans les grands festivals ou qui prônent la « valeur culturelle d’un film [qui] n’est pas réductible à son seul succès public », les magistrats répondent que le trop-plein de films ne leur permet pas de rester suffisamment à l’affiche pour rencontrer leur public.

La Cour s’intéresse aussi à la rentabilité des films soutenus par l’ASR, une question brûlante pour un secteur qui relève à la fois de l’art et de l’industrie. Le dispositif ASR finance des films qui atteignent rarement un taux de rentabilité élevé : seuls 12 films, sur les 574 aidés entre 2011 et 2018, génèrent des recettes guichet à la mi-2022 supérieures au coût total des œuvres, soit 2 % de l’ensemble des films soutenus. Deux tiers des œuvres aidées génèrent des recettes en salles qui représentent moins de 20 % de leur coût total.

Le rapport note aussi le « faible remboursement » de l’ASR, qui était de 8 % en 2019 pour prendre une année pré-Covid, ce qui « l’apparente davantage à une subvention ». « Les disparités dans les remboursements constatés engendrent des inégalités entre bénéficiaires », juge également la juridiction.

Les crédits d’impôt pour le cinéma ont bondi (160 M€ en 2022) - ce qui reflète aussi le boom des tournages. « Nous ne disons pas qu’il y a trop de films et que la rentabilité doit être le seul critère, puisque le CNC est là pour que le cinéma puisse échapper à cette logique de l’argent, mais une rationalisation pour plus d’efficience est souhaitable », a nuancé Pierre Moscovici.

Le CNC doit se doter d’une « gouvernance financière solide »

« Le CNC et le ministère des Finances, sur le volet des crédits d’impôt notamment, doivent tirer les leçons de cette situation qui aboutit à financer, sur des deniers publics, un nombre toujours plus important de productions dont, pour une part croissante d’entre elles, la contribution au succès et au rayonnement du cinéma français, objectifs centraux de la politique de soutien, semble loin d’être probante », en déduisent les magistrats financiers.

Ils estiment également que le Centre doit « mettre en œuvre la réforme qu’il a lui-même annoncée afin d’assurer une efficience durable de ses aides ». Au vu de l’importance des ressources publiques affectées au Centre (785 M€ en 2022) et de sa complexité comptable, la Cour recommande que « soit mis en place, sans délai, un cadre de gouvernance financière approprié, avec la nomination de commissaires aux comptes, dont le CNC se dispense jusqu’à présent, et l’installation d’un comité d’audit auprès du conseil d’administration, indispensables pour éclairer tant les administrateurs que la tutelle ».

Par ailleurs, « dans le contexte de la mutation rapide des usages et des modèles économiques du cinéma et de l’audiovisuel », la Cour des comptes considère « indispensable que le CNC se dote rapidement des outils de pilotage en vigueur pour les opérateurs de l’État, que sont un contrat d’objectifs et de performance et une lettre de mission pour le président, conclus avec les ministères de la Culture et des Finances ».

Ce rapport de la Cour des comptes intervient onze ans après une analyse très critique du mode de financement du Centre et neuf ans après un rapport d’une toute autre teneur que celui publié mercredi : il dressait alors un constat sévère des soutiens à la production audiovisuelle, au notamment au regard des résultats la fiction française, tout en saluant les « résultats indéniables » de sa politique de soutien au cinéma (Satellifacts, 2 avril 2014).

La juridiction note les « ajustements significatifs » apportés par le Centre dans ses soutiens à l’audiovisuel, ainsi que le redressement des performances de la fiction, tant sur le marché national qu’international. Même si le plan d’économies qui a été engagé en 2019 pour l’audiovisuel « reste à estimer et à conforter dans la durée », elle considère que c’est « un travail à souligner » : « Aucune initiative d’ampleur similaire n’a été déployée au sein des autres directions métiers du CNC. »

Le président du CNC nuance les constats

Dans sa réponse à la Cour des comptes, le ministère de l’Economie et des Finances dit « partager le constat d’un niveau très élevé de films soutenus » et de la « nécessité de réformer les soutiens ». « En cohérence, le principe d’un plafonnement de la fiscalité affectée au CNC pourrait être étudié, afin que le niveau de ressources attribuées ne découle pas d’un simple constat mais de choix clairs et priorisés, alors même que comme le note la Cour, à l’exception de la TSA, il y a très peu de liens mécaniques entre le rendement des taxes et les besoins d’intervention du Centre », poursuit Bercy.

Mais le président du CNC, Dominique Boutonnat, regrette que la Cour « analyse quasi-exclusivement la performance [de cette politique] à la lumière du succès des films aidés en salles ». Pour que les films trouvent leur public, le CNC travaille sur leur diffusion, l’éducation à l’image, le soutien aux festivals, l’aide aux salles, art et essai notamment… Il a par ailleurs nuancé les constats de la Cour sur quelques points. « Les aides à la production cinéma - qui concentrent les critiques de la Cour - représentent moins de 20 % des dépenses de soutiens mises en œuvre par le CNC », indique-t-il. Par ailleurs, « la part relative des films d’initiative française (FIF) rassemblant moins de 20 000 spectateurs est, elle aussi, stable sur la période - autour de 30 % », ajoute-t-il. Et de souligner : « En tout état de cause, le coût budgétaire pour le CNC associé à ces films qui n’ont pas rencontré un large public reste limité, de l’ordre de 11 M€ (soit moins de 10 % du total des aides à la production cinéma). »

Matignon abonde, soulignant qu’il faut prendre en compte « le renouvellement de la création, la diversité des films proposés au public et le rayonnement de notre cinéma à l’international », autant de facettes « qui, en l’occurrence s’avèrent positives ». Il faudra « corriger les soutiens du CNC dont l’efficacité n’apparaît pas probante », ajoute la Première ministre Elisabeth Borne, « pour que la production cinématographique française soit vue par un public aussi large que possible ».
https://www.satellifacts.com/fr/file/download/15919/39867ae75868dd994a211be27a0d95b7/rapport-cour-comptes-gestion-cnc-2011-2022-septembre-2023.html